INFO-BURKINA

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L’héritage du modèle français en est la principale cause

des crises récurrentes dans les universités d’Afrique francophone

 

Le colloque international de Ouagadougou sur les conditions de stabilisation des universités d’Afrique francophone tenu du 22 au 23 février 2010 a réuni des sommités de l’enseignement supérieur au nombre desquels les présidents et recteurs d’universités d’Afrique. Nous avons à cette occasion rencontré le recteur de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, le professeur Abdoul Salam Sale. Sans détour mais avec le Pr Sale situe les responsabilités et les rôles de chacun. Les raisons des crises récurrentes dans les universités d’Afrique francophone ? « Le modèle français qu’on a hérité… », Pr Sale.

Professeur, vous participez à ce colloque sur la pacification des universités, dans quel cadre se situe ce colloque ?

Ce colloque s’adresse à nous tous pour savoir qu’est-ce que c’est que l’université, qu’est-ce que c’est que l’enseignement supérieur. Est-ce que dans la société on reconnaît que l’enseignement supérieur c’est le lieu de préparation des réponses aux questions de la société, à l’ouverture du marché, à la formation des jeunes qui puissent assumer leurs responsabilités au niveau social ; qu’ils puissent aider ceux qui n’ont pas eu la chance de venir à l’université. C’est d’abord qu’on s’entende surtout sur qu’est-ce que c’est l’université et sa place dans les sociétés modernes. Aujourd’hui l’économie mondiale est tractée par la connaissance. Hier c’était les ressources minières qu’il fallait avoir, aujourd’hui ce sont les ressources neuroniques qu’il faut avoir. On parle d’économie de la connaissance, et nos universités auront beaucoup de mal à être des universités de classe mondiale, parce que pour satisfaire à cette exigence il faut des enseignants de talents, des étudiants de talents, c’est la première composante. La deuxième composante c’est beaucoup d’argent et une gestion parfaite, flexible, rapide parce que les mutations sont rapides. Nous, universités du Sud, nous, universités d’Afrique de l’ouest, nous devons chercher à être des universités efficientes c’est- à- dire qui préparent des jeunes à une formation qui leur permette une insertion facile dans le marché du travail. Nous devons faire en sorte que les questions que notre société se pose, nous soyons à même de les résoudre et nous devons faire de sorte que nous puissions parler connaissance scientifique disponible pour ouvrir le marché du travail et créer de l’emploi. Naturellement tout cela demande des ressources, une entente, une mobilisation de tous. Les premiers à se mobiliser c’est la société parce que l’université appartient à la société. A travers la société beaucoup pensent à l’Etat ; l’Etat a plus de responsabilités que d’autres, mais aussi nos étudiants qui ont fait l’université, qui ont eu des diplômes et qui ont eu des positions sociales dans la société, eux aussi ils sont concernés. Les industries et les services qui tournent grâce aux produits de l’enseignement supérieur doivent être aussi autour de la table.

Quel rôle les acteurs de la communauté universitaire ont à jouer dans cette dynamique ?

 Naturellement les apprenants, les étudiants doivent dans le respect de l’accès équitable aussi participer au financement. L’université elle- même doit produire de l’argent par ses formations, par l’expertise de ses enseignants, par ses infrastructures qu’elle met à la disposition de la société. Ensemble comme nos valeurs de sociétés, c’est la solidarité. Personne mieux que les Africains de l’ouest ne devrait réussir que nous dans l’enseignement supérieur. Nous venons à ce colloque pour voir la place et le rôle qu’on nous confie dans la société, et à partir de ce moment, quelles sont les ententes qu’on peut avoir. Nous tous enseignants d’abord, nous devons savoir nos responsabilités, nos droits mais aussi nos devoirs. Étudiant il doit savoir qu’on entre à l’université comme on entre dans le clos pour chercher le savoir parce qu’au bout de l’effort, tu peux t’en sortir, t’aider et aider ta famille. La société doit venir aussi nous appuyer. Le personnel administratif et technique doit en permanence se requalifier pour pouvoir participer à l’effort de développement du système d’enseignement supérieur. Nous venons pour parler de l’avenir de l’Afrique, parce que si on stabilise nos universités dans une perspective dynamique, nous pourrons avancer ; mais le problème de fond c’est qu’on s’entende sur les modes de financements. Les modes de financement, certains ont parlé des Etats- Unis mais ils ne savent pas qu’en Chine aussi, des personnes ont financé des universités entièrement et que ce n’était pas l’Etat. Il n’y a aucun  pays au monde où l’Etat a tout fait. Il faut qu’on sorte de cette logique française qu’on a héritée, et la France elle- même sort de cette logique. Il faut que chaque enfant en fonction de ses capacités puisse aller le plus loin possible, au besoin être professeur des universités s’il en a les capacités, mais qu’il ne soit pas obéré par son origine sociale. Nous sommes venus discuter de tout cela. C’est un colloque sur la stabilité des universités mais le fil conducteur c’est, qu’est-ce que nous réservons à nos sociétés demain. Est-ce que nous voulons que nos sociétés participent, est-ce que nous voulons que nos sociétés ne participent pas dans l’économie de la connaissance ? Si nous avons des universités fortes, efficientes, oui nous participerons, et à partir de cet instant voir comment recoller, déconstruire la conférence de Berlin pour construire des entités viables au niveau de la sous- région. Moi je me sens Burkinabè. Toute l’Afrique est un seul pays, donc nous devons travailler ensemble, mais surtout la fonction des universités c’est la recherche. Il faut qu’on remette en place les structures de recherche et qu’on aide à l’ouverture du marché par la création d’entreprises et qu’on soit concernés par les ruraux qui eux aussi ont besoin de la science pour mieux produire, pour mieux travailler et pour eux aussi avoir la dignité. L’université est un moyen de dignité. On y entre c’est difficile mais au bout du processus si on a les parchemins, on a la dignité sociale.

Il est reproché aux universités africaines des contenus qui ne répondent pas aux réalités du terrain ?

Absolument. La réforme LMD on en a parlé, ce ne sont que des référentiels. Chaque université en fonction de l’environnement social, culturel de son site d’installation, doit définir des filières en adéquation avec les besoins. On s’accorde que dans la licence c’est le savoir de façon absolue, mais dans les masters on doit avoir des savoirs fléchés pour permettre aux gens de régler des problèmes. Il faut que l’université règle les problèmes de la société pour sa propre survie. La meilleure façon de régler les problèmes de la société c’est la recherche, ce n’est pas par la formation. Mais il y a une articulation entre la formation et la recherche. A l’université Cheikh Anta Diop de Dakar on a créé une entreprise qui produit des biens à partir de la science et les étudiants sont engagés dans des projets d’entreprendre pour créer leurs entreprises eux- mêmes et ces étudiants sont différents des autres étudiants qui ne sont pas engagés dans ce processus. Une université ouvre le marché, et si on règle les problèmes les entrepreneurs viendront parce qu’ils cherchent de l’argent.

Notre métier dans les universités c’est de faire des hommes et des femmes qui nous dépassent.

                                                             

 

 A votre avis qu’est-ce qui favorise les crises récurrentes dans nos universités ?

Le modèle français qu’on a hérité, où on a cru que l’Etat devait tout faire, le conservatisme, l’absence d’ouverture et de compréhension de ce qui se passe dans le monde. Nous avons à l’université de Dakar un canal et je disais que le monde ne s’arrêtait pas à ce canal. Il faut aller au-delà, il faut savoir qu’est-ce qui se fait ailleurs, quels sont les efforts. Je vous dis que le Japon est en train de réformer son système d’enseignement supérieur, le Burkina doit rester en reste ? Nous tous nous devons faire des efforts, nous devons comprendre que si on ne fait pas attention, dans dix ans ce n’est pas la France ou l’Angleterre qui vont nous coloniser, c’est la Chine et les Etats- Unis. A partir de là ce sera plus dur et c’est maintenant qu’il faut faire l’effort, se ceindre les reins, s’entendre, aider les jeunes à être. Notre métier dans les universités c’est de faire des hommes et des femmes qui nous dépassent. Et ça ce sont les étudiants qui en ont le talent, il faut que les étudiants le comprennent comme cela. Il faut qu’il y ait la transparence et qu’on rende compte. Il faut que tout le monde lise les conclusions de la conférence mondiale de l’UNESCO de 98 sur les droits et devoirs, la recommandation sur le personnel enseignant de l’enseignement supérieur ; nous avons des responsabilités énormes pour nos sociétés. Si nous travaillons pour la société et que nous sommes efficients, nous aurons l’appui du gouvernement, de la société ; et il faut que nos diplômés reviennent dans l’enseignement supérieur et renvoient l’ascenseur. Etre diplômé d’une université, avoir des ressources énormes, s’occuper de sa famille ou de son clan et oublier l’université ce n’est pas éthique. Il suffit que nos diplômés reviennent, que les enseignements et les étudiants se comportent autrement, si nous adoptons la culture d’évaluation et de discussion, il est possible pour nous aussi d’avancer et de profiter de la science. En plus de cela les enseignants et les étudiants doivent croire en eux- mêmes.

Quelle est l’expérience de l’université Cheikh Anta Diop dans la gestion des crises universitaires ?

L’université Cheikh Anta Diop il ne faut pas l’idéaliser. C’est une université qui a beaucoup de difficultés, et nous avons pensé qu’il fallait mettre en place une structure qu’on appelle médiateur pour que si les structures de dialogue ne règlent pas les problèmes qu’on ait recours au médiateur. Au début c’était suspect, on a dit que le recteur tend un  piège ; mais aujourd’hui il se révèle incontournable. Par exemple quand il y a des droits de cuissage des enseignants, où est-ce que les étudiantes vont pour clamer ça ? Il faut qu’elles aient des recours, qu’elles aillent quelque part pour poser leurs problèmes et qu’on interpelle le collègue pour voir si c’est vrai ou faux. A partir de cet instant tout le monde se calme et on travaille dans la transparence. Mais le médiateur seul ne suffit pas. Il faut que d’autres acteurs viennent de la société notamment nos anciens diplômés pour nous aider à mieux gouverner l’université parce que ceux qui sont apprenants ici, la plupart sont les enfants de nos diplômés et aussi les enfants de nos parents qui sont dans les terroirs à l’intérieur et nous devons tout faire pour qu’ils puissent réussir et aider leurs parents aussi.

Interview réalisée par Koundjoro Gabriel KAMBOU



13/03/2010
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