INFO-BURKINA

INFO-BURKINA

Organisation désastreuse du FESPACO 2009

                  "Nous sommes descendus à plusieurs étages en bas"

Après la célébration du cinéma à travers le 21è FRSPACO, l'heure est venue pour chacun à son niveau de tirer le bilan de sa participation à cette biennale du cinéma africain. Issu de la génération FESPACO, Bénéwendé Carlos Ouédraogo, metteur en scène, comédien, réalisateur, documentariste et conteur est venu de France pour participer au FESPACO 2009. Avec nous il dresse le bilan artistique et organisationnel de cette 21è édition du FESPACO qui fêtait d'ailleurs ses quarante (40) ans d'existence.

K. K. G: Pourquoi êtes- vous venu au FESPACO ?

B. C. O: Bon je suis venu au FESPACO à la fois en tant que réalisateur et en tant qu'artiste tout simplement. Le FESPACO représente pour tous les artistes africains l'une des plus grandes scènes, une scène continentale à vocation mondiale qui permet de mettre en perspective la vision artistique de l'Afrique par rapport aux problématiques qu'elle vit. Cette année le FESPACO fêtait ses quarante (40) ans d'existence, il était carrément de mon devoir même si je n'avais pas un documentaire de près, d'être là pour participer et vivre ces moments de quarante (40) ans du festival qui a un âge de maturité et aussi faire un clin d'œil à moi- même puisque je fêterai mes quarante (40) ans comme le FESPACO parce que je suis de la génération FESPACO. Je suis venu j'ai noué des contacts ; j'ai beaucoup de projets de documentaires en préparation. Le FESPACO est un grand carrefour durant lequel on peut rencontrer du monde du continent et du reste du monde. Ce sont autant de raisons qui m'ont conduit à cette 21è édition du FESPACO.

K. K. G: Comment jugez- vous la participation des cinéastes et du public à ce FESPACO

B. C. O: En tout cas j'étais impressionné par la quantité de production de films, parce que les films qui ont été proposés pour cette 21è édition, il y a eu plus de six cent soixante- neuf (669) si je m'en retiens à ce qui a été dit par les organisateurs. Cela prouve à quel point il y a un dynamisme de la production cinématographique en Afrique. Il y a un dynamisme incontestable dans la production artistique en Afrique et l'art est l'un des rares terrains avant- gardistes qui posent en perspective les différentes problématiques que vit le continent et qui parle directement aux consciences. J'étais ravi de voir tout ce monde et c'est le signe que ce rendez- vous du cinéma africain a une résonance mondiale, quarante (40) ans plus tard est une des plus grandes références qui comptent parmi les plus grandes rencontres cinématographiques du monde.

K. K. G: Quelle est votre appréciation du film qui a gagné l'étalon d'or de Yennenga ?

B. C. O: Quand j'ai vu le film TEZA de Haïlé Gérima pour la première fois, au sortir de ce film moi je l'ai pronostiqué déjà pour l'étalon d'or de Yennenga. Je disais à des amis qui étaient autour de moi que c'est l'étalon que je viens de voir. Et effectivement quand j'ai vu qu'il était consacré dans les faits, j'étais ravi. C'est un film très puissant, très artistiquement fait, politiquement engagé qui pose des problématiques à la fois de ce pouvoir, de ce racisme. Comme c'est un film dense qui évoque beaucoup de choses à la fois historiques, sociales, ça touche tout le monde. Moi étant à cheval entre le Burkina et la France, vivant là- bas, ce qu'on montrait du racisme que l'on vivait en Allemagne qui est ce qu'on vit exactement en France, on se retrouvait déjà dedans individuellement et on comprenait la problématique davantage. Un film qui a été construit avec une telle poésie, avec une telle vision ne pouvait qu'être honoré par cette distinction. Et quand TEZA a vraiment enfourché l'étalon de Yennenga, moi comme tous les autres festivaliers d'ailleurs nous avons tous applaudi parce que c'est un très beau film et je souhaite vraiment bon vent au film TEZA, qu'il parcourt le monde et qu'il ait une très grande distribution à travers le monde.

K. K. G: Comment jugez- vous l'organisation de cette édition anniversaire du FESPACO ?

B. C. O: C'est là effectivement que les véritables problèmes vont se poser. En tout cas j'ai apprécié la qualité artistique des réalisateurs. Beaucoup d'œuvres étaient de grande facture. Maintenant nous sommes dans un festival et un festival demande un minimum d'organisation pour pouvoir gérer de façon harmonieuse l'ensemble des opérations et à ce niveau il y a eu d'énormes problèmes organisationnels que nous avons constatés, et ça c'est vraiment dommage. J'ai été choqué, un peu révolté même de voir qu'à cette 21è édition, quarante (40) ans après on soit encore à balbutier sur des choses aussi simples qu'on a par moment réussies dans les éditions précédentes. Ça ça m'a vraiment choqué. Le fait que les programmes ne soient disponibles nulle part pour des festivaliers qui arrivent, il n'y a aucun programme pour savoir quel film voir, où le voir, c'est grave. Qu'on n'ait pas de programme qui puisse nous détailler les différentes productions à voir vu l'importance de ce festival c'est assez grave. Le fait que des films soient programmés et qu'on arrive et que ce soit déprogrammé à la dernière minute en lieu et place d'autres films comme j'ai pu le constater, ça c'est grave. Ça dénote de l'amateurisme de la part des organisateurs. Je le déplore et je le dénonce. Quand je prends les badges, trois jours après le début du festival, sur dix (10) personnes il y a à peine huit (8) qui n'ont pas de badges. Ce sont des choses qu'il ne faudra plus jamais reproduire parce que le monde entier nous regarde et la moindre faille est interprétée de manière cosmique. Au stade où nous en sommes, on ne peut plus tolérer ça et moi personnellement j'ai été choqué de voir cette pagaille au niveau de l'organisation. Je souhaite que les responsables de cette institution qui est le FESPACO prennent vraiment à bras le corps l'organisation et soient dans une vision prospective qui permet d'anticiper pour que ces erreurs qui sont de l'ordre de l'amateurisme ne se reproduisent plus ; parce que quarante (40) ans, il y a eu des erreurs que même au vingtième anniversaire on n'aurait pas fait ce n'est pas à quarante (40) ans qu'on va les faire. C'est impardonnable.

K. K. G: Comment jugez- vous les innovations des organisateurs ?

B. C. O: Tout dépend de ce qu'on appelle innovation. Moi connaissant le FESPACO pour avoir vécu certaines éditions avant, pour avoir vu ce qu'ils ont appelé innovation, ça' a occasionné une pagaille. Au final c'est une régression, pas une innovation. L'innovation c'est quelque chose qui nous amène de l'avant, à un niveau supérieur, et là nous sommes descendus à plusieurs étages en bas.

K. K. G: Parlant de votre carrière vous avez souvent monté des spectacles engagés dans un environnement socio- politique burkinabè hostile, comment vivez- vous cet engagement ?

B. C. O: Je pense qu'un artiste c'est quelqu'un qui s'exprime en toute conscience et en toute lucidité. En s'exprimant il parle aux consciences, au subconscient des autres. Je pense pas que quand un artiste est en phase de création et a des choses à dire se laisse bloquer par un environnement hostile, parce qu'il ne le voit même pas. Ce que tu vois c'est l'œuvre que tu es en train de confectionner. Le plus important c'est de pouvoir s'exprimer, de pouvoir être en cohérence avec soi- même, c'est- à- dire en harmonie entre son génie créatif et la concrétisation physique et matérielle. L'une de mes dernières créations c'était « Thomas Sankara la lutte en marche », un spectacle que j'ai écrit en hommage à ce grand homme, à ce visionnaire qu'a été le Président Thomas Sankara qui était un héritier de plusieurs leaders qui l'ont précédé. Il est venu à une époque où l'Afrique et le monde avaient besoin de cette vision. Une vingtaine d'années après sa disparition cette vision continue et vient apporter et approfondir des visions précédentes avant lui. On ne peut qu'être dans cette optique parce que nous sommes dans un rapport de force, nous  sommes dans une guerre qui ne dit pas son nom, quand on en est conscient face à cette injustice quasi généralisée ne pas aller contre ; sinon c'est contribuer à un suicide collectif que de ne pas se révolter contre cette bestialisation généralisée.

K. K. G: Que gardez- vous du Président Sankara ?

B. C. O: C'est un très grand visionnaire qui est venu à une époque où le Burkina, l'Afrique, le monde avaient soif du changement. Il est venu avec des idées novatrices, avec une vision très pertinente, très puissante, éclairer de sa lanterne l'obscurité dans laquelle on sombrait. Aujourd'hui sa disparition physique et son entrée lumineuse dans l'histoire continuent à guider ceux- là qui ont un minimum de conscience, un minimum de lucidité. C'est une sorte d'étoile éternelle. Les grands hommes transcendent leur personnalité physique, ils sont dans une perspective philosophique et c'est  l'axe philosophique  qu'il faut analyser et comprendre les grands hommes dans la pensée qu'ils ont voulu. Comme il l'a dit lui- même une semaine avant sa mort « on ne tue pas les idées ». Ces idées continuent à irradier, à dépolluer des mentalités, à éclairer des consciences et c'est ça qui est le plus important.

K. K. G: Vous qui avez vécu la période révolutionnaire, quelle lecture faites- vous aujourd'hui de la vie politique au Burkina ?

B. C. O: Bon, ce que nous vivons aujourd'hui, cette ère de démocratie plagiée à l'occidentale qui est encore un idéal démocratique à venir ; vous savez, quand les choses sont dans ce qu'on appelle du prêt- à porter qu'on vous impose sans souvent prendre les dimensions de ce que vous êtes, soit c'est trop large, soit trop petit, en tout cas ce qui est sûr l'espèce de démocratie qu'on nous a imposée à la Baule depuis les années 90 par le colon est quelque chose qui était évidemment inadapté. La démocratie c'est quelque chose qui doit tenir compte de notre contexte socio- culturel, ce sont des valeurs qui doivent tenir compte de ce que nous sommes. Quand on vous impose une manière d'être, une manière de voir, une manière de faire qui n'a pas tenu compte de ce que vous êtes aussi, il suffit de faire le bilan de ce qui s'est passé de 90 à aujourd'hui dans le reste du continent et on se rend compte que le bilan est très sombre et négatif. La démocratie est quelque chose à venir et elle viendra dans une perspective endogène et totalement africaine. Ce n'est pas une chose qui est étrangère au continent ; celui qui connaît l'histoire de l'Afrique, de son antiquité à l'époque précoloniale, c'est que la démocratie ne nous est pas du tout étrangère. Nous la connaissons. Des monarchies constitutionnelles on en  a connues depuis des siècles, donc on a des leçons à recevoir de personne. La meilleure manière d'être cohérent, de pouvoir avancer c'est d'être soi- même. On dit que l'arbre ne se lève vers le ciel qu'en plongeant ses racines dans la terre nourricière. Celui qui évolue sans ses racines évolue comme un zombie, un être vide qui erre.

La révolution ayant échoué et a dévié dans une dérive droitière a conduit inexorablement dans quelque chose qui nous a éloigné de nous- mêmes. Aujourd'hui nous sommes dans une imitation servile de quelque chose dans lequel nous ne nous retrouvons pas. L'incohérence est là à tous les niveaux, aux niveaux moral, éthique, politique, philosophique, culturel ; nous sommes dans une déperdition. On dit quand tu ne sais pas où tu vas, sache au moins d'où tu viens. Il faut retourner vers la racine pour reprendre la mesure pour avancer, peut- être qu'en ce moment là, on se retrouvera. Le climat dans lequel nous sommes, c'est juste une apparence dont la forme peut être belle mais le fond est exécrable, putride et nauséabond.

K. K. G: Quelles sont vos perspectives de réalisation ?

B. C. O: En tant que réalisateur je suis sur au moins trois projets documentaires qui sont avancés à des degrés différents. J'ai un projet où je parle de la problématique de la pollution des déchets plastiques et du génie inventif des artistes africains à lutter contre le problème écologique. J'ai un autre sujet qui parle de la spiritualité africaine, parce que la spiritualité c'est le pilier central de l'équilibre psychique d'une personne, d'une société, d'une civilisation. Cette spiritualité quand elle n'est plus à votre image, quand elle ne vous appartient plus vous tomber dans une déraison, ce qu'on appelle la folie et on délire. C'est une interpellation parce que l'Afrique a diabolisé ses propres sources spirituelles, ses propres repères. Dans le cadre du spectacle vivant j'écris aussi un travail pour remettre en perspective le problème de la falsification de l'histoire du continent africain, de l'antiquité à nos jours, du problème du racisme et de la contribution de l'Africain en général à la connaissance universelle.

K. K. G: Qui est votre idole ?

B. C. O: Je n'ai pas une idole comme ça. Mon idole je l'appellerais peut- être la Mahat que nos ancêtres de l'Afrique antique définissaient par la vérité, la justice, l'équilibre cosmique. Mon idole n'est pas une personne mais une perspective philosophique.

K. K. G: Un dernier mot ?

B. C. O: Le dernier mot à moi c'est que j'exhorte la jeunesse africaine à se mobiliser pour avoir une vision panafricaine. Il n'y a pas d'autres alternatives qu'une vision panafricaine dans une démarche philosophique afro-centrique. C'est le seul moyen par lequel pour l'instant on puisse passer pour nous désenchaîner mentalement, parce que les chaînes physiques on les a cassées, mais le pire qui reste à casser ce sont les chaînes mentales. Pour casser les chaînes mentales il faut passer par l'école afro-centrique qui est cette perspective philosophique qui vise à obliger les Africains à changer leur regard sur eux-mêmes et à aller chercher les matériaux d'un nouveau paradigme dans leur patrimoine culturel, historique et spirituel africain tout simplement. J'exhorte la jeunesse africaine à aller se cultiver pour s'armer la conscience afin de casser les chaînes mentales. C'est le seul moyen pour nous de contribuer à la renaissance africaine qui est en marche. L'Afrique est le futur.

        

                                                               Par Koundjoro Gabriel KAMBOU



18/04/2009
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 151 autres membres