INFO-BURKINA

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Peuples du Sud-Ouest : Deux démographes de l’INSD orchestrent un nettoyage ethnique des Birifor

 

 

Parmi les peuples les plus anciennement installés de la région du Sud-Ouest, les Birifor, les Lobi et les Dagara représentent les groupes numériquement les plus importants. Mais, au cours de ces dernières années, on constate une intention affichée des deux derniers à savoir les Lobi et les Dagara, de faire disparaître les Birifor. Rappelons que par Arrêté n°2010-175/MESSRS/SG/CNRST/INSS/CNLB du 04 juin 2010 portant création d’une sous-commission du Birifor, le Ministre des Enseignements Secondaire, Supérieur et de la Recherche Scientifique a créé la sous-commission nationale du Birifor qui se rattache à la commission nationale des langues burkinabè. L’article 3 de l’Arrêté décrit les missions de la sous-commission parmi lesquelles il est écrit qu’elle a pour missions de : «promouvoir, d’encourager et de coordonner les études sur le Birifor ». C’est dans ce cadre précis que s’inscrit notre écrit.

Lors de la session 2016 du baccalauréat  à Dano, pendant que quelqu’un, énumérant les peuples du Sud-Ouest, cita les Birifor, monsieur X, un Dagara, a réagi spontanément en disant : « Ne me parle pas de Birifor, les Birifor sont des Dagara-là ». Au cours d’une enquête orale à Gaoua le 01/09/2016, un informateur, un Lobi nous faisait entendre ceci : «  Quand un Birifor dit qu’il ne comprend pas le lobiri, ça me fait tellement mal ».  Comme on le voit bien, les Lobi et les Dagara assimilent chacun les Birifor à leur groupe respectif. Naturellement, des malaises sont fortement  ressentis face à la volonté  de passer un coup d’éponge sur l’existence du peuple Birifor en tant qu’entité ethnique et impose la nécessité d’écrire.

Notre réflexion  est articulée en trois points essentiels à savoir :

 

  1. La volonté d’ignorer le peuple Birifor
  2. Quelques chiffres estimatifs
  3. Ignorer un peuple, c’est le tuer

 

  1. I.                   La volonté d’ignorer le peuple Birifor

 

 En 1982, Achille Penou  SOME[1], écrivait ceci : "il est à préciser que la désignation Dagara renvoie à trois variétés dialectales, les parlers que sont le Birifor, le Lobr, le Wίίlé. L’appellation Dagara est en effet, un terme générique qui regroupe tous ces trois parlers". Avec ce linguiste, les Birifor n’existent pas en tant qu’entité ethnique différente des Dagara. Il soutient son argument en citant Z. Jean-Baptiste SOME[2] qui met en garde contre toute position réductrice du dagara qui peut être dangereuse car elle peut tenir des groupes dialectaux pour des groupes ethniques. Le terme dagara selon Z. Jean-Baptiste SOME n’appartient pas plus à un de ces trois parlers qu’à un autre. Il veut parler des Birifor, des Lobr (il ne s’agit pas des Lobi qui parlent lobiri, mais, une composante des Dagara) et des Wίίlé. En comparant quelques mots en lobr, wίίlé et birifor, Achille P.  SOME[3] se rend compte que le parler birifor utilise quelques phonèmes que l’on ne trouve pas dans les deux  autres. Il fut obligé de reconnaître qu’il existe entre le birifor et les deux autres parlers parfois des divergences lexicales entraînant une incompréhension entre les Birifor et les deux autres groupes. Il ajoute que ces deux derniers, eux,  se comprennent.  Comme  s’il éprouvait des difficultés face à ce constat de tirer des conclusions quant à l’appartenance des Birifor au groupe dagara, il se borne à conseiller que toute étude doit s’évertuer à dégager les traits communs entre ces trois parlers plutôt que d’en souligner les traits de divergence. Nous nous abstenons de tout commentaire.  

Le document écrit le plus récent qui a ignoré royalement dans son contenu les Birifor reste la Monographie de la Région du Sud-Ouest, produit par deux démographes de l’Institut National de la Statistique et de la Démographie à partir du  Recensement Général de la Population et de l’Habitation (RGPH) de 2006. Les monographies régionales sont une des publications majeures de RGPH 2006. Elles sont élaborées selon un plan type préparé par le Bureau Central du Recensement (BCR). L’étude a privilégié la langue au détriment du concept d’ethnie qui  disent-ils, est source de conflits. C’est pourquoi ils ont introduit dans le guide de collecte des données les questions suivantes : « Est-ce que (monsieur ou madame X) sait lire et écrire couramment dans une langue ? »,  « Quelle est la principale langue couramment parlée par (monsieur ou madame X) ?  Le traitement des informations sur les langues a privilégié selon eux,  les plus représentatives au niveau national et qui sont dotées d’un code spécifique.  Toutes les langues n’ont pas eu de code et celles qui n’en ont pas eu furent regroupées dans la modalité « autre ».

 

Concernant les Birifor,  le document reconnaît leur existence, mais, juge leur nombre très infime pour être évoqué et c’est cela  qui ne convainc pas. Les deux démographes, parlant du Sud-Ouest écrivent ceci : « Avec 1084 villages, la population estimée à 620 767 habitants en 2006, la population est essentiellement composée des Dagara, Birifor, Lobi, Gan, Djan, Pougouli, etc. Les principales langues parlées sont : le Lobiri à Gaoua, le Birifor à Diébougou, le Dagara à Dano et Batié et enfin le Moore et le Dioula un peu partout dans la région. Cependant, le Dagara (37,2%) et le Lobiri (37,8%) demeurent les principales langues les plus parlées de la région. […]. Les autres langues regroupant plus de trente langues nationales ou non, sont parlées par 10, 7% de la population de la région [4]».

Le constat qui se dégage de cette citation est l’ignorance de la géographie des peuples anciennement installés du Sud-Ouest par les deux démographes. On ne trouve que les Lobi et les Birifor respectivement à Gaoua et Diébougou. Ils sont présents dans trois provinces sauf le Ioba.  Les Dagara, eux, sont dans les quatre provinces dont une présence assez faible  dans le Poni contrairement aux trois autres provinces.

Les Tribus du Rameau Lobi (Henri   Labouret 1931).jpg

Les Tribus du Rameau Lobi (Henri Labouret 1931)

 

Toujours concernant les Birifor, la grave contradiction est révélée à la page 149[5] par le tableau A4 intitulé : répartition de la population par langues parlées et milieu de résidence selon la province. Ce tableau devait signaler l’existence des Birifor dans au moins une localité de la province de la Bougouriba pour obéir à la logique de la présence des Birifor à Diébougou. Mais, il n’en est rien, de sorte que la logique de la présentation des données ethniques par les deux démographes reste alors très douteuse. 

Le tableau ci-dessous indique selon eux, le nombre de locuteurs des langues qui ont reçu le code spécifique et qui sont donc les plus représentatives au niveau national.

               Tableau 1 : Groupes linguistiques représentés au niveau national selon le RGPH 2006[6]

Code

Groupe  linguistique

Nombre  de cas

Proportion  (%)

1

  Ashanti

159

0,0

2

  Djerma

9 116

0,1

3

Haoussa

9  673

0,1

4

 Ouolof

701

0,0

5

 Autre langue africaine

10  718

0,1

6

 Français

170 047

1,3

7

 Arabe

1 666

0,0

8

Anglais

2  194

0,0

9

Russe

161

0,0

10

Autre langue non africaine

418

0,0

11

Bissa

398 926

3,2

12

Bobo

181 373

1,4

13

Bwamu (ou Bwamou)

268 001

2,1

14

 Dafing

134 681

1,1

15

Dagara

246 724

2,0

16

 Dioula (ou Bambara)

616 148

4,9

17

Dogon (ou Kaado)

36 551

0,3

18

 Fulfuldé (ou Peulh)

1 171 354

9,3

19

Gouin

51 908

0,4

20

 Goulmancema (ou Gourmantché)

771 879

6,1

21

 Kasséna

83 602

0,7

22

 Ko

10 301

0,1

23

 Koussassé

12 786

0,1

24

 Lyélé

212 531

1,7

25

 Lobiri

220 172

1,7

26

 Minianka

2  684

0,0

27

 Mooré

6 363 975

50,5

28

Nuni (Nounouma)

146 581

1,2

29

San (ou Samogho ou Samo)

233 179

1,8

30

 Sembla

16 023

0,1

31

 Sénoufo

172 884

1,4

32

 Siamou

17 441

0,1

33

 Sissaka

332

0,0

34

 Sonrhaï

43 192

0,3

35

Tamachèque (ou Bella)

122 019

1,0

36

Gurunsi

40 298

0,3

37

Autres langues nationales

633 565

5,0

99

ND

192 924

1,5

 

 Total

12 606 887

100

 

 

Non Appliqué :

1 410 375

 

A la suite du tableau, les auteurs font observer ceci : «Lorsqu’on examine le tableau 1 ci-dessus, on se rend compte que la modalité "autre langue nationale"  a beaucoup de répondants. Cela signifie que tous les autres groupes linguistiques du Burkina qui ont une représentativité moindre se retrouvent dans ce lot dont les Djian, Birifor, Pougouli, Bwaba, Caraboro, Zaoce, Toussian, etc. y compris[7]». Les deux auteurs veulent nous faire admettre que le nombre de locuteurs du Birifor n’atteint pas celui de ashanti (159), sissaka (332), ouolof (701), arabe (1 666), minianka (2 684), djerma (9 116)[8], etc., et  ne peuvent donc pas être  représentés sur le tableau national.  Une telle affirmation n’est pas défendable (voir tableau n°3 des villages birifor).

A côté du tableau national, les deux démographes ont pris le soin, d’élaborer un tableau régional  ci-dessous qui indique le nombre de locuteurs des langues parlées dans la région du Sud-Ouest. Là aussi, le nombre infime des locuteurs du Birifor ne leur permet pas, à en croire ces deux auteurs, d’y être représentés, ce que  contredisent quelques chiffres.

 

Tableau 2 : Groupes linguistiques représentés au niveau de la région du Sud-Ouest selon le RGPH 2006

Code

Groupe  linguistique

Nombre  de cas

Proportion  (%)

1

  Ashanti

3

0,0

2

 Djerma

96

0,0

3

  Haoussa

128

0,0

4

 Ouolof

4

0,0

5

 Autre langue africaine

183

0,0

6

  Français

3 332

0,6

7

 Arabe

20

0,0

8

  Anglais

29

0,0

9

 Russe

10

0,0

10

 Autre langue non africaine

7

0,0

11

 Bissa

119

0,0

12

 Bobo

546

0,1

13

  Bwamu (ou Bwamou)

596

0,1

14

Dafing

484

0,1

15

  Dagara

205 733

36,7

16

 Dioula (ou Bambara)

15 446

2,8

17

  Dogon (ou Kaado)

61

0,0

18

  Fulfuldé (ou Peulh)

13 327

2,4

19

  Gouin

51

0,0

20

 Goulmancema (ou Gourmantché)

105

0,0

21

  Kasséna

20

0,0

22

  Ko

246

0,0

23

  Koussassé

5

0,0

24

Lyélé

88

0,0

25

  Lobiri

209 086

37,3

26

  Minianka

51

0,0

27

 Mooré

43 064

7,7

28

 Nuni (Nounouma)

303

0,1

29

  San (ou Samogho ou Samo)

415

0,1

30

 Sembla

32

0,0

31

  Sénoufo

52

0,0

32

  Siamou

8

0,0

33

  Sissaka

2

0,0

34

Sonrhaï

4

0,0

35

Tamachèque (ou Bella)

19

0,0

36

  Gurunsi

517

0,1

37

 Autres langues nationales

59 072

10,5

99

 ND

7 497

1,3

 Total

560 761

100,0

Non Appliqué :

60 006

 

A-t-on besoin encore d’autres preuves pour comprendre que l’omission du peuple Birifor du tableau régional n’est pas sans objet quand on veut faire accepter que le nombre de locuteurs du birifor ne vaut pas celui du sissaka (2), ashanti (3), sonrhaï (4), koussassé (5), siamou (8), russe (10), tamachèque (19), kasséna (20), etc., et qui sont représentés sur le tableau n°2?

Tableau n°3 : les villages birifor du Sud-Ouest du Burkina Faso[9]

 

Provinces

Départements

Villages

Bougouriba

 

12 villages

Diébougou (9)

Bamako, Diasser, Tampé, Konsabla, Barindia, Seourégane, Voukoun, Kolépar, Mébar.

Dolo (3)

Milpo, Nicéo, Hèllèlè

 

 

 

 

 

Noumbiel

 

 

52 villages

 

 

 

 

Batié (37)

Batié, Ambourma, Kankouma, Iprétéon, Dissewtéon, Kampa, Djewmè, Maldodomo, Malssourgbin, Bankon, Valkoukoula, Kodjɔ, Yoldotéon, Gnolka, Dokita, Baminè, Tognor, Topi, Takpo, Tamipaar, Nové, Dangbal, Maaltéon, Gnobol, Gaapar, Tadotéon, Djoumbal, Ponikĩkĩné, Pirbar, Gombar, Gangalma, Donsière, Banabar-Tomar, Banabar-Itiel, Banabar-Izir, Banabar-Fesso, Toussana.

 

Kpuéré (12)

Kpuéré, Faadjɔ, Faadjɔ-Mètène, Mérétéon, Tiaprétéon, Sinatéon, Méditatéon, Bonfatéon, Nabatéon, Derbar, Téhinisud, Kouldaduɔ

Boussoukoula (3)

Konkéra, Kabitewn, Tiokpatéon.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Poni

 

139 villages

 

 

 

Gaoua (33)

Hèlo-Birifor, Bonkou, Youlabakou, Tienkouera, Djikando, Tamidjara, Tonkar, Tambili, Silalara, Holly,Wèlèlè, Balantir, Dienso, Sidoumoukar, Orkopouo, Bouli, Bonko, Bonkopérou, Lahol, Lou, Doumbou, Mpɔmpãa, Kopar, Malba, Nabara, Kpaon, Siboulbié, Nɔkinè, Koulpone, Koulponngane, Koulcampéma, ½ Boulkpan et ½ Gnɔyanw.

 

 

Nako (28)

Tièka, Yabar, Kougbélé, Hemkoa, Thambir, Balarkar, Babière, Nakalé, Mara, Domassière, Lokono, Balè, Djipla, Boulimbié, Djangara, Korĩn, Lemka, Hantom, Salsi, Gnɜmpãn, Téniankoura,Tabou, Talière, Dapla, Guinguine, Kɔmon, Bampoulé, Sangol.

 

Malba (16)

Malba, Valla, Kpéélé, Soroumboura, Bourô, Diri, Godjir, Bou, Banipouo, Kponkpon, Kô-Naradjou, Dossa, Dossa-Barandi,Tatet, Soupéra, Kodjô.  

 

 

 

Gbomblora (26)

Bahouan, Borohir (Bɔorhi), Boudéo, Boukantiè (Kurkantiè), Dalampour, Dombière, Domser, Doubou-Birifor, Gboulougnɔ, Goran, Houiéo, Kalséo, Kollé, Koukiè, Kouradatéon, Kpoko, Lombilé, Mèbar-Birifor,   Ponalatéon, Sorkoum, Tolkaboura, Nassa, Kpokanki, Wirko, ½ Kampène, ½ Hipiel

 

 

 

Bousséra (30)

Batiéblé, Dabori, Dogberpari, Donka, Donkô, Donkô-Tambili, Gongone, Gouamba, Kampidiou, Kankaniblé, Koukoutéon, Koukoutéon-Dientinitéon, Kpara, Momol, Pollo, Sireka, Simantéon, Sonon-Pari, Sonon-Tabéa, Tankpourou, Tanya-Pari, Tindiar, Tripora, Bouratéon, Dalangbara, Mekpa, Soukoutéon, Dobile, Gompare, Tanya-Zousso.  

Périgban (2)

Polla, Teebiel

Loropéni (1)

Fanirèpi/Tiogogara ou Safihera/Safiheré

Kampti (3)

Intooprè, Kompéi, Konkouna

Total :  3

13

203

 

Cet inventaire n’est pas exhaustif et il y a de nombreux villages occupés majoritairement par des Birifor et des Lobi que nous avons volontairement écartés. Le tableau n°3 ci-dessus et quelques chiffres sur les Birifor remettent totalement en cause les données présentées dans les tableaux n°1 et 2.

Car, il est inimaginable que le nombre d’habitants de 203 villages soit si négligeable au point de ne  pas être pris en compte dans le tableau n°2.

 

II. Quelques chiffres estimatifs

 

En 1976, Georges SAVONNET[10] relevait à partir des archives coloniales 18 000 Birifor dans  la seule  subdivision de Nako. La période qui suit les années 1910 et qui se prolonge jusqu’en 1946, est marquée par une forte instabilité démographique selon l’auteur. Il justifie cette instabilité par : "Les répressions brutales qui, le plus souvent, suivent les crimes ou les règlements de compte entre autochtones, et qui sont exercées par les troupes contre les villages, comme les dures représailles qui sanctionnent les tentatives de résistance, achèvent de décourager les habitants. La plupart des familles abandonne la région et passe le fleuve pour retourner dans leur village d’origine, du côté anglais[11]". En multipliant le nombre de ces quelques Birifor recensés à Nako par le nombre de subdivisions, on aura 18000 x 6 =108 000 Birifor au début de la pénétration coloniale.

 En 1985, la paroisse de Gaoua seule comptait selon l’Abbé Eric Sié DAH[12] 38 591 Birifor et 52 245 Lobi (soit une différence de 13 654) sur une population totale de 97 841 habitants, sans compter ceux  des paroisses de Batié, Diébougou, Nako et Legmoin. En considérant les 38 591 de la paroisse de Gaoua comme  une moyenne, on aura alors 38 591 x 5 ce qui donne un nombre de 192 955 de locuteurs du birifor.

 

Jean-Baptiste Metuole SOMDA dans un manuscrit non daté intitulé Sagesse Dagara : Anthroponymie Dagara, révélait en introduction à la page 1 que les Dagara recensés dans les seules circonscriptions de Dano et de Dissinh sont au nombre de 137 923 et estime à environ 220 000 le nombre de Dagara vivant au Sud-Ouest du Burkina Faso. Ce nombre s’approche bien de celui de  246 724 consigné sur le tableau national. Cependant, l’écrit de Jean-Baptiste Metuole SOMDA intègre les Birifor parmi les Dagara.

A partir de ces quelques chiffres, une question se pose : dans quel groupe le Recensement Général de la Population et de l’Habitation de 2006 a-t-il classé les Birifor sur les tableaux régional et national? Sur le tableau régional, la modalité « autre »  atteint le nombre de 59 072 locuteurs avec une proportion de 10,7 %, nombre inférieur à celui des Birifor (192 955 en 1985, soit plus de trois fois le nombre de locuteurs d’une trentaine de langues). Comment peut-on ignorer dans un recensement général une entité ethnique aussi importante ?

On peut alors penser que soit, le recensement s’est déroulé dans des conditions très mauvaises ayant produit des résultats douteux, soit que les résultats du recensement ont été manipulés à des fins inavouées. Dans tous les cas, les résultats tels que présentés portent préjudice à l’existence des peuples non pris en compte dont les Birifor.

 

III. Ignorer un peuple, c’est le tuer

 

La meilleure façon de tuer un peuple consiste à l’ignorer et à le faire oublier par  les autres. Comment peut-on être concerné par les autres si on n’est pas connu, si on n’est pas répertorié et enregistré ?  Quelques faits pratiques renforcent nos soucis.

Le Projet Stratégie de la Scolarisation Accélérée Plus (SSAP),  rapporte Ata Robert DA[13], est un programme enfant hors école touchant aux enfants de 9 à 12 ans déscolarisés ou n’ayant pas eu la chance d’aller à l’école. L’objectif du projet est de récupérer ces enfants en vue d’une formation intensive en 9 mois sur les programmes d’enseignement de CP2 et de CE1. A l’issue de cette première phase de formation, les élèves performants seront transférés dans le système scolaire normal en classe de CE2 pour continuer le cursus scolaire qui les conduira au CM2.

Quelques exemplaires du journal   d'informations en Birifor.jpg

Quelques exemplaires du journal   d'informations en Birifor

 

Etant donné que des élèves n’ont pas eu l’occasion d’aller à l’école, une formation de deux mois en langue locale est prévue afin de les préparer aux programmes de CP2 et de CE1. A ce niveau, un problème s’est posé dans le Sud-Ouest. Un seul critère a sanctionné le recrutement des animateurs-formateurs : il s’agissait de savoir parler une des langues de la région. Les entretiens se sont déroulés en lobiri, birifor, dagara, gan, dyan, etc. A la fin, les langues retenues pour l’exécution du programme sont le lobiri, le dagara et le dyan.  A la question de savoir pourquoi le birifor n’a pas été retenu, on répondit que les investigations ont révélé que les Birifor comprennent tous le dagara et le lobiri. Quelle autorité a pu prendre une telle décision, les concepteurs du projet ou d’autres personnes et à quelle fin ? Comment a-t-on pu commettre une telle gravité pour un fait dont on n’a même pas besoin d’une heure de temps pour vérifier ?

Le deuxième fait concerne un atelier tenu à Koudougou du 15 au 17 février 2017, convoqué par la Direction Générale de l’Education non Formelle en appui à la commission nationale des langues burkinabè et qui a réuni les sous-commissions de langues. Les organisateurs de l’atelier ont ignoré la sous-commission du birifor.

 

 L’absence totale dans la Monographie du Sud-Ouest, des langues comme le djan, le birifor, le pougouli, le kansa, etc., peuples anciennement installés dans la région du Sud-Ouest n’est pas sans poser un problème d’identité et d’éducation des enfants issus des peuples qui parlent ces langues. De quels sentiments seront animés les élèves de ces groupes ethniques, qui manifestement savent que leur nombre se  chiffre par dizaine de milliers et pourtant ils n’existent pas pour certaines personnes ? Ils sont absents sur le tableau. De quelle manière et par quelles preuves convaincre une personne qui a foi à ce document de l’existence desdits groupes sociaux dans la région ? S’il s’agit de groupes minoritaires en voie de disparition, le Ministère de la Culture, des Arts et du Tourisme et les structures promotrices du concept genre sont interpellés respectivement pour  la survie d’un pan important de la culture burkinabè et la sauvegarde des groupes vulnérables.

 

Les programmes d’enseignement de l’histoire et de la géographie au secondaire sont présentés sous forme d’entonnoir en partant du niveau local vers les niveaux,  régional, national et international. Il est donc sans conteste que les peuples absents dans la Monographie régionale du Sud-Ouest, au regard de la rareté de la documentation, n’ont pas la chance d’être étudiés sur les plans historique et géographique.

 

Conclusion

 

Au terme de notre réflexion, nous voulons faire observer les velléités  manifestes de la part des Lobi et des Dagara de noyer le peuple Birifor. Les Birifor ne se reconnaissent ni sous l’appellation Lobi ni l’appellation Dagara. Historiquement, il est plus facile de déterminer  à partir d’indices culturels un peuple jadis minoritaire englouti par un autre plus fort que lui. Mais, quant à considérer au regard de des réalités historiques, sociologiques, anthropologiques, etc., des peuples du Sud-Ouest, qu’un peuple s’est détaché de ses aïeux et qu’on veuille l’y ramener, n’est pas impossible, mais, simplement difficile à comprendre. Même si les Birifor étaient issus de Lobi et de Dagara, comme le pensent certains, la seule approche respectueuse de les en convaincre est de conduire des études qui livrent des résultats scientifiquement acceptés. Les Birifor se reconnaissent  en tant qu’entité ethnique différente des deux autres et il ne saurait être du devoir d’un peuple d’attribuer à un  autre l’identité qu’il veut lui faire porter. Au demeurant, la raison pour laquelle les deux groupes (Lobi et Dagara) se disputent l’appartenance  des  Birifor renforce chez ces derniers la quête de la satisfaction d’un sentiment d’identité. La langue ne saurait être un élément invincible de l’appartenance d’un peuple à un autre. Sinon, les Lobi se rattacheraient l’appartenance des Djan avec lesquels ils partagent le même espace géographique et dont les langues presque identiques. De même, les appellations Wίίle et Lobr chez les Dagara demeurent encore aujourd’hui alors que du regard extérieur, rien apparemment ne les distingue. Les trois peuples (Lobi, Birifor, Dagara) se reconnaissent comme étant des frères[14], mais, reconnaissent qu’ils sont d’entités ethniques différentes, de la même manière dont ils se reconnaissent de familles (matriclans, patriclans) différentes, gage d’équilibre  social. Cet état de fait mérite  d’être respecté comme tel.   

 

Quelques indications documentaires et de sources

 

1. DAH Sié Eric, 1998. L’église, champ de Dieu : intelligence du mystère de l’église à partir de l’image du champ en milieu birifor, mémoire de fin de formation au Grand séminaire régional de Koumi, 58 pages.

2. METUOLE, SOMDA, Jean-Baptiste s.d. Sagesse Dagara : Anthroponymie Dagara, manuscrit, 57 pages.  

3. SAVONNET, Georges, 1976. Les Birifor de Diépla et sa région insulaire du rameau lobi (Haute-Volta), ORSTOM, Paris, 173 pages.

4. SOMDA, Souonyir et SOME, Lanko, 2009. Monographie de la Région du Sud-Ouest, Recensement Général de la Population et de l’habitation de 2006,  Institut National de la Statistique et de la Démographie, Ouagadougou, 152 Pages.

5. SOME, Penou, Achille, 1982. Systématique du signifiant en Dagara : variété Wίίlé, l’Harmattan, Paris,  489 Pages.

6. DA Ata Robert, 34 ans. Enseignant et coordonnateur dans le projet Stratégie de Scolarisation Accélérée Plus (SSAP)  pour le compte des provinces du Poni et du Noumbiel,  21/09/2016, Gaoua.

 

 

 

  DA  Inyinibon

   Docteur en Histoire

   Tél : 70  15  20  10



[1]SOME, P. Achille, 1982.  Systématique du signifiant en Dagara : variété Wίίlé, l’Harmattan, Paris, P. 21-22  

[2]SOME, Z.JB, 1977. La personnalité africaine face à l’échec : l’échec et la réussite comme indicateurs de changement sociaux dans la société dagara, paris, P.12

[3]SOME, P. Achille, 1982. Op.cit. P.23-24

[4] SOMDA, Sonyir et SOME, Lanko, 2009. Monographie de la Région du Sud-Ouest, Institut National de la Statistique et de la Démographie, Recensement Général de la Population et de l’habitation de 2006,  Ouagadougou, P.20 et 36.

[5]SOMDA, Sonyir et SOME, Lanko, 2009. Op.cit., P.149.  

[6]Les tableaux n°1 et 2 ne se trouvent pas dans la Monographie de la Région du Sud-Ouest de SOMDA, Sonyir et SOME, Lanko, mais, dans un texte de quatre pages envoyé par e-mail à monsieur PALM Wierkome François, résidant aux  USA et qui avait exprimé une préoccupation par rapport à l’ethnie Dyan. C’est ce document qu’ils ont bien voulu nous envoyé par e-mail. 

[7] Texte de quatre pages, à nous,  envoyé par e-mail.

[8] Les nombres entre parenthèse indiquent le nombre de  locuteurs de la langue.

[9] Inventaire fait par nous avec l’appui de quelques chefs d’établissement. Certains villages birifor portent des noms en lobiri, mais, occupés de nos jours par des Birifor.  C’est le cas du village de Teniankoura (à Nako),  occupé de nos jours par les Birifor, il prend le nom de Sansirkouo qui n’est pas connu officiellement  par l’administration. C’est aussi l’exemple du village de Dapladuɔ situé entre Passéna et Midebdouo, nom en lobiri qui veut dire la terre ou le village de Dapla (littéralement homme blanc, teint clair, en langue birifor). Dans le département de Loropéni, un seul village birifor du nom de Fanirèpi et Tiogogara en lobiri qui signifie respectivement : tu vas chier et  maison géante. Le même village est nommé en kansa par Sifahéra ou Sifahéré qui signifie : passons de l’autre côté.

[10]SAVONNET, Georges, 1976. Les Birifor de Diépla et sa région insulaire du rameau lobi (Haute-Volta), ORSTOM, Paris,  p.102. Il y avait les subdivisions de Diébougou, Gaoua, Kampti, Legmoin, Batié où les Birifor étaient présents.

[11]SAVONNET, Georges, 1976. Op.cit, P.115

[12]DAH Sié Eric, 1998. L’église, champ de Dieu : intelligence du mystère de l’église à partir de l’image du champ en milieu birifor, Grand séminaire régional de Koumi, P.7-8

[13]DA Ata Robert, 34 ans. Enseignant et coordonnateur dans le projet SSAP pour le compte des provinces du Poni et du Noumbiel,  21/09/2016, Gaoua.

 

Nous espérons pouvoir démontrer cette réalité dans un article en cours d’élaboration traitant de l’origine ethnique des Birifor. 



18/04/2017
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