INFO-BURKINA

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Sinistrés du 1er septembre

 

On mange bien mais on veut de l’argent pour partir

Le 1er septembre 2009, les Ouagalais et Ouagalaises sont loin d’oublier de sitôt cette date qui rappelle le temps de Noé dont parle la Bible. Ce jour là le ciel a été trop altruiste en ouvrant ses vannes pour laisser tomber 263mm d’eau sur la capitale burkinabè en l’espace de douze heures. Du jamais vécu dans ce pays sahélien à la pluviométrie capricieuse et incertaine à chaque début de saison. Les conséquences, on se rappelle encore fraîchement ont été énormes. La déferlante des eaux a entre autres rasé des quartiers tout entiers, endommagé des édifices publics et privés, a fait 150 000 sans abris et tué cinq personnes. Les personnes sinistrées avaient trouvé refuge principalement dans les écoles. Mais avec la rentrée scolaire de ce 1er octobre, les sinistrés ont été relogés sous des tentes à l’INJEPS (institut national de la jeunesse et de l'éducation physique et sportive) et à l’hippodrome. Comment vivent ces sinistrés sur les nouveaux sites ? Quel est l’état de leur moral ? Quels sont leurs besoins réels et les risques d’épidémie et de dépravation des mœurs dans un quartier où vivent ensemble et parfois sous le même toit, hommes, femmes, enfants, jeunes filles et garçons sans intimité réelle ? Pour en savoir nous sommes allés sur l’un des sites, l’INJEPS. Le constat est à la fois satisfaisant et inquiétant.

Il est 9h du matin quand nous arrivons ce 28 septembre sur le site de l’INJEPS. La photographie des lieux nous fait croire que nous sommes dans un camp de réfugiés. Des tentes aux diverses couleurs et capacités d’accueil dressées un peu partout. A l’entrée du site, une patrouille de policiers assure la sécurité des lieux et renseignent les fouineurs d’informations comme nous autres. Un peu plus loin, des enfants, par petits groupes s’amusent aux côtés des tentes devenues désormais leurs concessions. Eux semblent déjà s’être adaptés à ces nouveaux lieux. C’est du reste ce que nous confirme Rachel Ouoba. « Je vis bien ici je ne me plains pas. A la rentrée j’irai en classe de 6è et j’ai déjà eu la place au lycée évangélique de Boulmiougou. J’irai rejoindre mon père à Pissy pour continuer mes études. » Par contre, les hommes et femmes qui sous des tentes, qui sous l’ombre de rares petits arbres, par l’expression de leurs visages, éprouvent de graves difficultés à épouser les nouvelles conditions de vie. « Ici je m’ennuie un peu, je ne pars plus au boulot parce que c’est loin d’ici », affirme Roland Koudougou, électricien de fonction. Des ouvriers eux, sous un soleil cuisant exécutent leurs travaux de construction de toilettes et d’installation de tentes et de WC mobiles offerts par l’ONEA (office national de l'eau et de l'assainissement). Sur les lieux nous rencontrons le responsable dudit site, Edgard Compaoré, conseiller municipal et président de la commission des affaires générales de l’arrondissement de Baskuy. Avec lui nous nous enquerrons de la situation qui prévaut sur ce site dont il a la responsabilité. « A la date du 27 septembre, nous avons enregistré 1013 sinistrés venus des anciens sites de Paspanga, du lycée Dimdolobson, du sacré cœur, de l’institut islamique franco- arabe du secteur 10, de l’école Kwamé Nkrumah, de l’école TA, de la garderie populaire du secteur 12 et du lycée John Kennedy. Nous avons divisé le site en quartier et au niveau des tentes nous avons essayé de faire en sorte que les ménages puissent rester ensemble dans la mesure du possible. Mais les tentes n’ont pas la même capacité d’accueil, si bien que certaines familles sont divisées mais là nous n’avons vraiment pas le choix. En termes d’approvisionnement en nourriture ça se passe bien parce que nous avons les points focaux des anciens sites qui sont là avec nous et dès que les vivres arrivent ce sont ces points focaux qui gèrent toujours la répartition avec leurs sinistrés », nous a laissé entendre M. Compaoré. Aux sinistrés il est offert des services comme l’alimentation, la santé, l’assainissement, l’eau courante et l’éducation avec l’installation de tentes écoles prévues pour accueillir les élèves. Mais ces services ne satisfont pas totalement les sinistrés, reconnaît monsieur Compaoré. « Les plaintes c’est surtout au niveau des tentes, des gens qui ne sont pas très satisfaits, qui aimeraient être totalement avec leurs familles. Au niveau des grandes tentes qui peuvent prendre une trentaine de personnes les gens se retrouvent seuls ou isolés de leurs familles. En dehors de ça il n’y a pas de difficultés majeures.» En ce qui concerne les repas, ils sont faits en commun. Chaque ancien site responsabilise des femmes qui font une cuisine commune et chaque famille du quartier prend le repas avec ses plats. En termes de commodités, nous avons pu constater l’électrification du site, l’installation de toilettes sommaires et des WC mobiles tout autour du site. Mais l’entretien et l’utilisation de ces WC posent d’énormes difficultés à leurs utilisateurs et il a fallu que l’ONEA affecte sur les lieux des animatrices pour expliquer comment utiliser et entretenir leurs WC.

                                Une vue du site de l'INJEPS

Plus de mille personnes de tous âges et de tous sexes réunis en un même lieu, les risques sont énormes. Le risque de dépravation sexuelle surtout. Mais là- dessus le responsable du site Edgard Compaoré rassure : « Nous avons deux postes de police aux deux entrées. Nous avons dressé la liste de tous les sinistrés que nous avons remis aux policiers qui sont de garde ici 24h sur 24. Des instructions ont été données pour qu’à partir d’une certaine heure les déplacements soient contrôlés. Nous insistons que les gens se comportent bien. » Mais cela suffira- t- il à calmer les ardeurs des uns et des autres ?

Après notre entrevue avec le responsable du site, nous entrons sous une tente qui fait office de dispensaire. Des femmes, accompagnées de leurs rejetons viennent en consultations. Prise de température du corps, enregistrement des nom, prénoms et quartier d’origine, puis remise gratuite de médicaments pour poursuivre le traitement une fois chez elles. De l’avis de l’infirmière Mme Drabo Hortense, ses services reçoivent en moyenne trente à quarante patients par jour. Les maladies fréquentes sont essentiellement le paludisme, la toux, les bronchites et la diarrhée surtout chez les enfants. La seule difficulté que rencontre Mme Drabo est le manque de médicaments pour certaines maladies.

            Le service de santé reçoit en moyenne 30 personnes par jour

En sortant de la tente de l’infirmerie, nous rencontrons deux femmes d’un âge compris entre 35 et 40 ans. Après les présentations d’usage, l’une d’entre elles, le sourire ferme, nous dit : « Moi j’ai très soif. Si tu veux que je parle tu viens au bar m’acheter quelque chose de frais et on va parler ». La deuxième, visiblement plus âgée que la première préfère nous inviter à la cuisine. « Viens on va aller à la cuisine toi- même tu vas voir comment on prépare ». Cette proposition nous convient mieux, parce que moins couteuse et entrant dans le cadre de notre mission. En route elle nous confie : « Si je parle ils vont dire c’est les gens de sacré cœur encore. Ils (les responsables des lieux) disent que les gens de Sacré cœur disent trop la vérité, voilà pourquoi nous on ne veut plus parler. » Nous arrivons à la cuisine. Elle est en plein air sous un arbre qui a du mal à offrir une ombre satisfaisante en ce jour de grand soleil. Là, deux marmites sont posées chacune sur trois pierres assurant les fonctions de foyer. A l’intérieur des marmites mijote le repas de midi. Tout autour, femmes et enfants attendent l’heure de la cuisson. L’accueil qui nous est réservé est peu amène. « C’est quelle radio ? », nous demande une femme assise à même le sol. « Non ce n’est pas une radio c’est un journal écrit », avons- nous répondu. « Nous ne voulons plus parler ni à la télévision ni à la radio. Nous avons trop parlé et rien ne change. On remercie le gouvernement pour ce qu’il a fait mais on veut partir. Même si c’est un peu ils n’ont qu’à nous donner on va aller se débrouiller avec. On n’est pas content de rester ici. On mange et on dort, on ne fait rien, on risque de tomber malade. Les gens aussi ont profité de cette situation pour augmenter les prix des loyers. Il faut que le gouvernement parle aux propriétaires des maisons », assène cette quadragénaire, le visage visiblement marqué par les soucis. Les autres femmes acquiescent par leurs soupirs. Autre lieu, autre génération mais même réalité et mêmes besoins. Sous une tente au milieu du site d’accueil de ces sinistrés du 1er septembre, nous trouvons trois jeunes garçons, deux jeunes femmes et un enfant. Roland Koudougou est satisfait de la restauration mais il s’ennuie. « On remercie le gouvernement de nous avoir hébergés sur ce site. Ici je m’ennuie un peu, je pars plus au boulot parce que c’est loin d’ici. Mon patron a voyagé et donc il n’y a plus de travail. La restauration ça va un peu. Le matin on prend la bouillie, à midi on mange le riz ou le tô. » Sa voisine de circonstance, Gisèle renchérit en ces termes : «Moi je suis apprentie couturière. On est là on mange on fait tout. On veut qu’on vienne nous aider même si c’est l’argent ils vont nous donner on va aller chercher des maisons pour reprendre notre activité. C’est tout ce qu’on veut. »

         Gisèle et Roland se côtoient du matin au soir sous la même tente

Ces quelques temps passés avec les sinistrés relogés à l’INJEPS nous ont permis de comprendre leur état d’esprit et leurs aspirations profondes. Ils mangent moyennement bien certes, mais ils aspirent à une aide qui les libérera de l’assistanat. Comme le disent les Saintes Ecritures, l’homme ne vivra pas que de pain seulement. Les aspirations des sinistrés se résument en une trilogie : recevoir de l’argent- quitter les sites- reprendre les activités. Ces aspirations, loin d’être de trop, méritent une attention particulière de la part de nos autorités. Pendant combien de temps ces gens seront-ils entièrement et gracieusement pris en charge ? Le fait aussi de les garder ensemble pendant une longue durée engendrera forcement d’autres problèmes sérieux à résoudre. Nous nous dirigeons vers deux extrêmes redoutables, le froid et la chaleur. La période de décembre à février pratiquement étant une période de grand froid, des maladies surtout pour les enfants (au nombre de 612 sur le site) sont à redouter surtout que sous les tentes, c’est à même le sol que les gens dorment. Pas de matelas, encore moins de lits. Immédiatement après la période de fraîcheur, c’est celle de la forte canicule qui commence à partir du mois de mars. Là encore les risques de maladies sont énormes. Sous les tentes il fera encore plus chaud que dehors ; et dehors aussi il n’y a pas d’ombre pour s’abriter. Visiblement le calvaire né des inondations du 1er septembre est loin de s’estomper de sitôt. Les esprits sont à jamais marqués, mais l’avenir s’envisage au moins avec grand espoir.

                           LE 1er SEPTEMBRE EN IMAGES

 

Koundjoro Gabriel KAMBOU 

 

 



06/10/2009
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