INFO-BURKINA

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SMOCKEY

 

 

Je suis un politicien

 

Artiste musicien de rap, Smockey fait partie de ceux qui portent haut le flambeau de la musique nationale hors de nos frontières. Kundé d’or en 2006 avec son titre mythique "Votez pour moi", Serge Martin Bambara a des textes très engagés ; ce qui explique les pressions qu’il subit chaque fois qu’il doit sortir un album. Musicien mais aussi politicien, propriétaire du label "Les Studios Abazon", Smock est depuis plus d’un an dans les bonnes grâces sentimentales de Kady qui se trouve être son manager. Dans cette interview qu’il nous a accordée, Smockey nous parle de lui, sa carrière mais aussi sans détour dénonce les tares du régime en place.

 

Comment es- tu venu à la musique ?

 

Bon, la musique c’est une passion, un amour. C’est quelque chose qui a démarré comme un jeu, comme tout dans la vie finalement. Quand on y réfléchit bien toutes les choses sérieuses ont toujours commencé par un amusement. Dans les années 88 – 89 on a commencé à s’initier au rap. Après il a fallu laisser tomber la passion pour s’occuper de choses concrètes c’est- à – dire se nourrir, se vêtir, habiter ; être un peu autonome. En ce moment j’ai mis la musique de côté pour retrousser mes manches. J’ai commencé à travailler très tôt dans le milieu de l’hôtellerie restauration jusqu’à ce que ma passion me rattrape.

 

une certaine opinion vous attirbue la paternité du tack- borsé, êtes- vous vraiment  le père de ce genre musical national ?

 

Nous avons juste récupéré quelque chose qui existait déjà. On a réfléchi ensemble parce qu’à un moment donné il n’y avait que le couper décaler. Les chanteurs du couper- décaler sont arrivés à créer un mouvement avec un bout de ficelle, avec une petite mélodie ils disent n’importe quoi la plupart du temps sur la chanson mais ça marche. Comment ils font pour que ça marche ? Ils ont créé tout ce qui va avec. Donc nous aussi nous avons voulu faire la même chose mais dans un autre style pour montrer la voie aux artistes burkinabè pour qu’ils commencent à travailler dans ce sens. Le but c’était de faire quelque chose de dansant mais avec du sens.

 

Pour l’opinion publique Hamed Smani est le père du tack-borsé, qu’en est-il réellement ?

 

Il faut être honnête, Hamed Smani a fait sa chanson mais le mouvement c’est nous qui l’avons créé. Le créateur du mot « tack-borsé » c’est Smani, le créateur du concept, du mouvement tack-borsé c’est le Gouvernement. (Rires)

 

Vous êtes un artiste engagé, dites- nous quelle est la vie d’un artiste engagé au Burkina Faso ?

 

Notre vie n’est pas différente. Nous sommes des artistes tout simplement. Si engager veut dire entrer par les portes officielles et non par les portes annexes ou les raccourcis, dans ce sens on peut dire qu’on est engagé. Nous sommes prêts à faire de la musique mais pas à tout prix. Il y’en a qui sont prêts à faire de la musique à tout prix, c’est- à- dire peu importe ce que ça va leur coûter, il faut qu’ils fassent de la musique et qu’ils vivent de la musique. Moi je fais de la musique par passion, le jour où je vais faire de la musique juste parce que ça me rapporte de l’argent, j’arrête, c’est mieux. Je veux gagner de l’argent par la musique mais je veux le gagner honnêtement avec la conscience tranquille. Je vais en gagner parce qu’on apprécie mon travail et non parce que j’aurai courbé l’échine ou prostitué mes idées. Je veux avoir une liberté d’esprit qui me permet de dire ce que je pense. Être artiste engagé c’est mal vu ; c’est comme une vierge au milieu des putes. L’image est un peu extrême mais c’est ça. Une pute qui s’accepte comme tel il n’y a pas de problème. Le problème c’est quand la prostituée ne veut pas qu’on la traite de prostituée alors qu’elle l’est.

 

Dans votre dernier album il y a un titre qui a été retiré à la dernière minute, qu’est-ce qui s’est passé ?

C’est une décision personnelle que j’ai prise mais que j’ai appelée censure. Censure parce que j’ai reçu beaucoup de pression par rapport à ce titre et ce avant même la sortie de l’album. J’ai été convoqué au ministère où j’ai rencontré des responsables qui m’ont fait toute sorte d’explications, de pressions limite menaces pour me dire de retirer ce titre de mon album. Après j’ai eu des pressions familiales et c’est ça qui a vraiment joué sur moi. Ils m’ont même dit que je mettais leur vie en danger, donc face à cette situation je me suis dit je n’ai pas le droit d’impliquer les gens de ma famille et de mon entourage proche. J’avais déjà eu ce problème avec " Putsch à Ouagadougou" et même avec "Ouaga c’est pas les States", j’ai dû retirer un extrait. La garde présidentielle aurait même touché directement ma famille pour les mettre au parfum. J’ai retiré le titre pas par rapport à moi mais par rapport à ma famille. Mais ce genre de décisions je n’en prendrai plus, j’ai bien fait comprendre que mes choix artistiques n’appartenaient qu’à moi et plus jamais personne ne m’influencera. C’est la dernière goutte que j’ai concédée, la prochaine fera déborder le vase.

 

Vous avez aussi pendant la crise universitaire sorti un single "A balles réelles", qu’est-ce qui vous a amené à le faire ?

C’est la même chose qui m’a amené à faire des titres comme "Putsch à Ouaga", c’est- à- dire qu’à un moment donné vous ne supportez pas une situation et puis vous en parlez. Je trouve anormal que dans un pays dit démocratique avec un potentiel d’intellectuels assez conséquent, on puisse en venir à tirer sur des enfants qui vont à l’école. C’est des universitaires certes mais c’est quand même des gosses. On fait intervenir la garde présidentielle pour dire que c’est pour protéger les alentours de chez le petit frère du président, mais le petit frère du président n’est personne. Jusqu’à preuve de contraire, officiellement il ne représente rien pour l’Etat burkinabè. J’ai fait un single qui s’appelle "A balles réelles" et j’ai appelé mon frère Sam’s K pour "On est dans la rue" pour qu’on s’exprime. On est dans la rue parce que ça ne va pas, parce que depuis vous nous prenez pour des zozos, il faut que ça cesse. C’est pour ça qu’on est dans la rue. Demain si ça continue on va encore aller dans la rue jusqu’à ce que tout change, c’est ça le message. On est là on parle de démocratie, de liberté, ça c’est foutaises, c’est pour attirer des investissements étrangers mais on sait ce qui se passe dans la façade. Malheureusement la réalité du "si tu fais on te fait" ça existe toujours.

 

Pour le dixième du drame de Sapouy vous avez concocté une compilation musicale, comment avez- vous pu mobiliser tous ces artistes de talents autour de la cause de Norbert Zongo ?

 

D’abord il y a une cause qui ne se discute pas, c’est la cause de Norbert, quelque soit ton bord politique. Moi je suis un politicien contrairement à ce que beaucoup d’artistes, les gens qui n’aiment pas mouiller leur maillot, qui veulent être caméléon pour continuer à manger dans tous les plats. Si on aime ce pays on se doit d’être politicien. Tu t’intéresses à l’avenir de ce pays tu as intérêt à faire de la politique, pas avoir des ambitions politiques mais un point de vue sur la politique de ton pays. On ne peut pas se laisser conduire par un chauffeur de taxis qui ne sait pas où il va.

Donc la cause est suffisamment importante pour intéresser ces artistes. Avec peu de moyens, la technologie nous a permis de travailler à distance. Nous avons tous décidé de participer gratuitement. C’est notre crédo, on a envie de dire au monde ce qu’on pense. La réalité de ce pays c’est que ce dossier là c’est la plaie de ce gouvernement et pour la guérir il n’y a qu’une seule solution c’est juger. Juger les criminels et les enfermer, et je ne parle pas des petits, je parle des commanditaires, des gros bonnets.

 

Aujourd’hui quel regard portes- tu sur la jeunesse burkinabè ?

 

(silence) Pessimiste. Quelqu’un a dit c’est l’optimiste qui invente l’avion et le pessimiste invente le parachute. (Rires) J’ai vraiment un regard pessimiste sur la jeunesse parce que j’ai l’impression que nous ne sommes pas prêts d’inventer le parachute parce que nous ne prévoyons pas la chute et c’est ça qui est bien dommage. Il y a quelques foyers de réveil de ci de là, mais c’est timide. Les gens ne se rendent pas compte de la profondeur du gouffre dans lequel on est en train de se précipiter ; parce que l’après ère compaoré va être vraiment difficile. On se dit que la capacité d’encaissement des gens va à un certain moment exploser et les gens vont arriver à dire ce qu’ils pensent. On dit rencontre des jeunes à Bobo les gens vont se verser là- bas dans des salamalecs et des béni oui oui pas possibles, pour obtenir des sommes misérables, 5 ou 10 000f cfa, je dis c’est la honte de l’ONU. Quand vous avez eu la chance d’avoir des hauts responsables qui sont devant vous, vous avez de vraies critiques c’est l’occasion de les exposer, vous ne vous amusez pas avec ça c’est un podium. La vérité c’est que nous sommes 14 millions de Burkinabè et 10 millions ne savent même pas où chier ; et sur ces 14 millions il y a à peine 10% qui vivent au dessus de leurs moyens mais avec nos moyens à nous. Partout où vous allez vous vous rendez compte de l’extrême pauvreté des gens. On ne peut pas chanter chaque année que le Burkina va mieux, le PNB ou PIB a augmenté et on ne voit pas les traces. Les échangeurs sont faits pour changer de voie pour arriver sur les autoroutes, sur de bonnes voies. Mais ces échangeurs là c’est pour aller où ? Vous tournez en rond ! (Rires) Même s’ils n’avaient pas mis ça les gens savent où aller. Nous sommes simplement un petit pays modèle pour la françafrique parce qu’on dit oui à tout. Les financements qu’on gagne ça rentre toujours dans les poches des mêmes opérateurs économiques, les Kanazoé, Gando et autres. Concrètement l’échangeur a changé quoi dans la vie d’un gars qui a un vélo ou une moto? Ça’ a même compliqué la tâche. Ça’ a changé le regard de l’étranger sur le Burkina, on va dire le Burkina se construit, or le Burkina se cherche. Il faut que les gens se mettent à l’idée, c’est pas dans mille ans, c’est très bientôt, l’après compaoré. Quand il ne sera pas là tout le monde va vouloir parler en même temps et on se rendra compte que les caisses de l’Etat sont vides. Il y a l’argent dans les poches des décideurs il n’y a pas d’argent dans le pays. Le Burkina est un pays où on balaie la poussière pour la mettre sous le tapis et quand les étrangers viennent ils disent mais c’est propre ici hein! Mais le jour où on va soulever le tapis…

 

Parle- nous de votre palmarès et le prix qui vous a le plus marqué

Je n’ai jamais été marqué par les prix. Les prix c’est pour les gens qui se satisfont des récompenses ou qui les mérite. Je n’ai jamais pensé mériter un prix. Quand je les reçois c’est toujours avec beaucoup de surprise. Le "Kundé d’or" (Baromètre de la musique au Burkina, ndlr) m’a surpris mais m’a beaucoup fait plaisir uniquement pour une raison : la thématique choisie, le texte que j’ai écrit. Comme c’était parallèle à la première dame qui d’ailleurs a dit son mécontentement, que je ne méritais pas cette récompense. Ça m’a fait plaisir, quand vous clachez le système et que le système est obligé de vous récompenser bon gré mal gré, cela prouve que les gens n’écoutent pas les paroles.

Quel est ton statut matrimonial ?

Ça fait plus d’un an maintenant que je suis marié.

Ton plus beau souvenir ?

(Silence) Mon plus souvenir je crois c’était mon bataclan à Paris quand j’ai joué avec Awadi. Le Bataclan est une salle un peu mythique, n’importe qui ne joue pas là- bas, donc j’étais vraiment fier d’y jouer avec Awadi.

Ton signe zo ?

 

Scorpion, je suis né un 24 octobre.

 

Ton idole ?

 

J’ai toujours tiré de l’intérêt en toute chose et en toute personnalité. Il y a des gens qui m’ont beaucoup marqué comme Brassens, un chanteur français qui fait de la poésie musicale avec une guitare acoustique et il a des textes très forts. Mais il y a des gens qui vivent toujours que j’apprécie énormément, il y a Awadi bien sûr qui est un frère que j’apprécie énormément. Il y a des gens que j’ai appris à connaître récemment comme Sam’s K le Jah qui sont formidables. En littérature c’est varié il y a énormément d’écrivains qui m’ont marqué, même des féminins. Celui qui m’a le plus marqué c’est Mandela. Il a été emprisonné pendant plus de vingt ans, il ressort de prison et devient président, tout le monde trouve ça extraordinaire. Il y a des personnages comme Che Guevara, Thomas Sankara et Norbert Zongo qui est devenu récemment une de mes idoles ; j’ai réappris Norbert en écoutant ses bandes afin de sélectionner des parties pour faire la compile. C’est un homme extraordinaire qu’on a perdu.

 

Ton rêve que tu caresses actuellement ?

 

Mon rêve ? Je sais pas ! Si je dois avoir un rêve c’est d’arriver un jour à être satisfait d’une de mes œuvres, c’est – à- dire m’asseoir et trouver que c’est parfait. Le jour où je vais écouter et que c’est parfait je vais arrêter la musique, c’est ça mon but ; c’est- à- dire arriver à faire un classique dont on ne peut plus se passer. Je suis donc à la recherche d’un classique qui va me satisfaire et satisfaire le public.

                                             

 

          Interview réalisée Koundjoro Gabriel KAMBOU



12/05/2009
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