INFO-BURKINA

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Un quart de siècle d’élevage de porcs au cœur de Ouaga

 

Voilà déjà six ans que je connais ce vieil homme de taille moyenne. Malgré sa barbe blanche bien soignée, signe qu’il appartient désormais aux personnes du troisième âge, le dynamisme semble être sa tasse de café. Régulièrement je l’ai vu aller et venir. Pendant six également j’ai entendu les cris des porcs, et surtout j’ai humé l’odeur qui se dégage de sa porcherie à chaque fois que je suis venu réparer ma moto chez le mécanicien installé juste à côté de la cour dudit vieux. Malgré sa vieillesse, son dévouement pour le bien- être de sa… population porcine m’a séduit. Ce dimanche 14 février, grand jour pour les saints amoureux, j’ai décidé de lui rendre visite avec mon dictaphone et mon appareil photo. A mon salut et à l’objet de ma visite, le vieux me répond, « Mon fils, je ne comprends pas bien français, donc pour ne pas trop te fatiguer dans la retranscription, je préfère que tu attendes Sylvain mon fils s’il finit de donner à manger aux porcs vous allez parler ». J’accepte et je m’assois pour attendre. Le vieux commence la causerie. En français. Petit à petit il me retrace l’histoire de son idylle avec l’élevage des porcs. C’est ce pourquoi je suis là. Sans mot dire je sors mon calepin et mon stylo. Il marque un arrêt, me regarde et continue la narration de l’histoire. Le français n’est pas celui de quelqu’un qui n’est jamais allé à l’école formelle. Mais la pratique n’est- elle pas aussi une "école" ? Après tout, l’élevage des porcs que le vieux chérit tant aujourd’hui, a- t- il eu besoin d’aller à l’école pour maîtriser ce métier ? Bref, le vieux Belemkoabga est en lui- même une école d’élevage de porcs.

 En démarrant son élevage le 15 juillet 1986 avec une truie et un box (compartiment d’une écurie délimitée par des cloisons et réservé à un seul animal), rien ne présageait que ce couturier rentré de la lagune Ebrié serait aujourd’hui à la tête d’un grand élevage de porcs au cœur de la ville de Ouagadougou. Le chemin fut long et exigeant, mais la volonté et le don de soi ont ouvert les portes du succès  à Ado André Belemkoabga. Vingt quatre ans après et malgré ses soixante- huit ans bien sonnés, les souvenirs de M. Belemkoabga n’ont pris aucune ride. Trait pour trait, et avec une précision rigoureuse des dates, celui qui dit n’avoir jamais franchi le seuil d’une salle de classe retrace l’histoire de son parcours dans l’élevage des porcs. « Au début des années 70 j’ai appris la couture en Côte- d’Ivoire avant de rentrer au pays. Arrivé j’ai été cuisinier de Yorian Somé* de février 1975 à janvier 1976. Le 1er janvier 1976, je n’ai pas pu aller saluer la famille Somé. A cause de cela la femme a dit qu’elle va me payer 7000 francs au lieu de 8000. J’ai démissionné pour aller continuer ma couture. C’est ainsi que le 15 juillet 1986, la femme d’un guitariste de l’Harmonie voltaïque qui venait coudre chez moi m’a vendu une truie. C’est avec donc une seule femelle que j’ai commencé mon élevage ». En mars 1990 André Belemkoabga obtient un premier prêt de trois cent mille (300 000 F) francs avec PRODIA pour soutenir son élevage. Trois ans plus tard il obtient deux prêts successifs de trois cent mille (300 000 F) francs chacun. 1996, il arrête la couture « qui ne marchait d’ailleurs pas bien », pour mieux se consacrer à son nouveau métier : l’élevage des porcs. Toujours à la même année, M. Belemkoabga obtient un prêt à hauteur d’un million de francs CFA dans le but de soutenir les études de sa fille qui vit actuellement en Europe. « Moi je ne suis jamais allé à l’école mais je ne m’amuse pas avec l’avenir de mes enfants. Ils sont tous allés à l’école et ont été bien soutenus », nous confesse le natif de Koupéla. Aujourd’hui le vieux Ado André Belemkoabga bénéficie d’un prêt de cinq millions accordé par la CODEC (Coopérative d’épargne et de crédit). Sa population porcine qui était estimée à cent (100) têtes il y a quelques mois est à ce jour réduit à une cinquantaine en raison de petits problèmes de santé des porcs rencontrés en septembre dernier. Le transport des tourteaux qui se faisait par la tête, se fait maintenant plus rapidement et plus efficacement à l’aide d’un véhicule que conduit le benjamin de la famille. Le travail de l’élevage, M. Belemkoabga le maîtrise parfaitement. Il fabrique lui- même les aliments pour ses porcs et sait exactement les périodes de gestation et les dates de mise bas des truies. « Si ma truie monte aujourd’hui je sais exactement à quelle date elle va mettre bas. Ce n’est pas de la théorie, c’est la pratique. La truie monte trois mois vingt trois jours», précise-t-il avec fierté. Le vieux Belemkoabga est même devenu une personne ressource auprès de qui des intellectuels et autres débutants en élevage prennent cours. « Des intellectuels viennent vers mon père pour bénéficier de ses conseils pratiques », témoignage de sa fille Sylvie, étudiante en année de licence de sociologie à l’université de Ouagadougou. « Avant d’être ministre le Pr Justin Koutaba a acheté des porcs avec moi pour aller élever », ajoute le père, le regard enjoué en direction de sa porcherie.

Vieux Belemkoabga, une personne ressource en matière d’élevage des porcs

La porcherie du vieux Belemkoabga serait-elle la source principale de ravitaillement des faiseurs de porc au four dans la ville de Ouagadougou ? Sa réponse est ferme et directe. « Non ! Si c’est seulement pour ceux qui font le porc au four, je ne vais pas élever. Je ne vais même pas conseiller ça à mes enfants. Ça ne marche pas. Pour preuve, j’ai vendu 11 porcs à 97 500 F avec les vendeurs de porc au four. Pourtant avec les alimentations le kilo de viande fait 1100 F. Je sers des alimentations comme Marina Market, Self Service,  l’économat de l’armée, Mme Bandaogo, etc. En plus Un couple de porcs à l’âge de six mois fait 40-mille francs. Pour accoupler ça fait 90-mille». Grâce à cet élevage, M. Belemkoabga prend bien soin de sa famille et paie régulièrement la dame qu’il emploie pour l’aider dans le nettoyage des boxes. « Ma famille ne peut pas me critiquer. Elle ne crève pas de faim. Si tu veux que quelqu’un travaille bien, il faut bien le nourrir, bien le payer ». Cette réalité a séduit sa fille Sylvie qui voit dans l’élevage, une source de revenus conséquents. Tout en espérant exercer parallèlement ce métier, Mlle Sylvie invite ses pairs jeunes à s’y investir sans complexe aucun. « A l’avenir je continuerai à pratiquer l’élevage parallèlement si toutefois mon mari est à Ouaga. L’élevage n’est pas facile mais il faut de la volonté et se donner soi-même, s’entourer des meilleurs conseillers. L’élevage paie bien et il n’y a pas de complexe à le faire», nous confie- t- elle après avoir donné son coup de mains à la porcherie comme elle le fait chaque week- end à ses temps libres. L’amour pour l’élevage des porcs serait- il héréditaire dans la famille Belemkoabga ? Le benjamin âgé aujourd’hui de 29 ans, après avoir obtenu son Brevet d’études du premier cycle (BEPC) en 2000 cesse les études et opte pour l’élevage. Il est en ce moment le dauphin du père. Pour faire connaître l’activité de l’élevage des porcs, Sylvain Belemkoabga crée un blog et participe à l’émission Plein Sud sur RFI. Sylvain reçoit- il un salaire à la fin du mois pour tout le temps qu’il consacre chaque jour à la ferme de son père ? « J’ai juste quelque chose à la fin du mois pour mes petits besoins. Mais cela est sans importance parce que pour moi c’est le futur qui compte ». Le futur, le vieux André y pense activement. « J’ai un terrain d’un demi hectare à Gampella où je compte construire et déménager tout mon élevage. J’ai aussi en projet d’aider la femme de mon premier fils à acquérir un permis de conduire dans le but d’aider son beau frère Sylvain dans le travail », nous ouvre- t- il son cahier de projet.

Il faut que le Gouvernement nous aide

De l’avis d’André Belemkoabga, les gens ont la volonté d’élever mais les moyens font beaucoup défaut. Il souhaite donc que le Gouvernement puisse leur octroyer des prêts à moindre taux afin de booster le développement de ce secteur clé de l’économie nationale. En cela l’espoir du vieux est grand ; et sa question qu’il nous a posée à la fin de l’interview nous a embarrassé. « A quoi ça va servir, ton interview ; qu’est-ce que je gagne ? »

Notre réponse : « en fait l’objectif recherché en publiant cette interview dans le journal et sur internet, c’est que partout au Burkina et ailleurs dans le monde, beaucoup de gens puissent savoir ce que vous faites si bien depuis bientôt un quart de siècle. Votre début avec des moyens modestes, votre combat pour réussir, les difficultés que vous rencontrez et surtout la riche expertise que vous avez en matière d’élevage de porcs. Peut- être grâce à cette mise en lumière, des gens viendront vers vous et certains d’entre eux pourraient vous aider ». Peut-être. Certainement. Osons y croire, Papa Belemkoabga.

 

Koundjoro Gabriel KAMBOU

 

*Le colonel Somé Yorian Gabriel était un militaire et homme d'État voltaïque actuel Burkina Faso. Il fut l'un des fondateurs de l'armée de Haute-Volta le 1er novembre 1961 avec notamment le général Aboubacar Sangoulé Lamizana. Il fut assassiné le 9 août 1983 pendant la révolution burkinabè.

 

 

 

 



01/03/2010
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